Les Classes et quartiers populaires. Paupérisation, ethnicisation et discrimination

Saïd Bouamama revient dans son dernier livre (1) sur vingt ans d’observation et de - recherche concernant les rapports entre la paupérisation des quartiers populaires, leur ethnicisation et les idéologies libérales qui en tirent profit. Le sociologue dissèque le culturalisme, présenté souvent comme la seule explication des problèmes des quartiers populaires : leurs habitants ne s’en sortiraient pas du fait d’une religion, d’une culture ou d’un mode de vie différents. Saïd Bouamama dénonce cette posture stigmatisante qui évacue les causes socio-économiques du contexte difficile dans lequel évoluent certains territoires.

L’idéologie de la méritocratie républicaine est de plus en plus prégnante et sans cesse mise en avant par Nicolas Sarkozy, notamment à destination des quartiers populaires. Comment analysez-vous ce discours ?

Saïd Bouamama. Il y a deux manières de - répondre aux revendications d’une population qui vit une injustice. La première consiste à s’attaquer aux causes structurelles et à ce qui produit de la précarité. La seconde permet de ne pas toucher à la structure du système inégalitaire, tout en donnant l’illusion d’agir. C’est-à-dire ouvrir le système à la marge en faisant monter une couche moyenne issue des milieux populaires et de l’immigration. Ce fonctionnement n’est pas sans rappeler la formation d’une élite indigène à l’époque coloniale. Automatiquement les personnes promues deviennent individualistes et reproduisent le discours d’une réussite uniquement due à leurs propres efforts. Les dominants n’ont guère besoin de leur demander de cracher sur les milieux populaires, ils le font spontanément.

Dans votre livre, vous constatez l’émergence d’un nouveau rapport de classes fondé sur l’ethnicisation. Comment fonctionne-t-il ?

Saïd Bouamama. Progressivement, un marché ethnicisé du travail s’est mis en place avec des secteurs et des emplois dont les modes de recrutement et de promotion interne sont fondés sur des critères ethniques. On pourrait croire à une forme de favoritisme ; en réalité, la vraie question est de savoir quelle est la nature de ces emplois ? L’immigration étant une variable d’ajustement structurelle, les populations précaires et immigrées sont les premières entrées mais aussi les premières sorties. Cette gestion ethnicisée s’appuie sur une source externe, les sans-papiers, et une source interne, les jeunes issus de l’immigration. Ces derniers sont contraints à cause de la discrimination de revoir à la baisse leurs prétentions. Combien de jeunes femmes issues de l’immigration, avec des bac+4, des bac+5, sont forcées de travailler dans le nettoyage industriel ? C’est aberrant. Le marché ethnique du travail est un outil parmi d’autres de la précarisation de la condition salariale.

Comment s’explique cette situation de discrimination par le travail ?

Saïd Bouamama. Pour que ce système puisse fonctionner correctement, il faut ajouter une idéologie qui rende cette situation non révoltante. Par exemple, les Noirs seraient meilleurs pour les emplois de videurs, parce qu’ils seraient plus diplomates… Les Maghrébins, eux, seraient - naturellement bons dans le bâtiment ; les Asiatiques, minutieux pour la confection… Il y aurait ainsi des capacités ethniques, des qualités plutôt que des qualifications. La stratégie consiste à faire admettre au plus grand nombre l’évidence de cantonner les Noirs ou les Maghrébins à un certain profil de postes. Dans les entretiens d’embauche, il existe des mécanismes discriminatoires qui ne nécessitent pas d’être raciste pour les appliquer. Le recruteur aura tendance à prendre quelqu’un qui lui ressemble. Mais, comme les populations issues de l’immigration n’ont pas historiquement accès à certains postes, chacun - reproduit à son niveau. Je ne pense pas que la solution soit dans la morale, dans l’éducation civique ou dans l’antiracisme. Même s’il est nécessaire de maintenir une lutte contre l’intolérance et contre les racismes, il s’agit plus ici de combattre les inégalités socio-économiques.

L’ethnicisation des rapports s’intègre dans une grille de lecture explicative plus large, que vous appelez le culturalisme. De quoi s’agit-il ?

Saïd Bouamama. Le culturalisme est l’explication de la réalité sociale à partir du seul facteur culturel. Il s’est imposé par une - récupération libérale d’une aspiration et d’une revendication justes et progressistes : la reconnaissance de la diversité culturelle française et le refus de la logique assimilationniste. Pendant les années cinquante et soixante, les quartiers populaires d’une part et l’immigration d’autre part sont analysés à partir des concepts de « classes » et de « lutte des classes ». Les décennies 1970 et 1980 seront, elles, caractérisées par des luttes visant à intégrer la diversité des - composantes de la classe ouvrière et des milieux populaires dans les revendications. En France, la Marche pour l’égalité de 1983 et le mouvement Convergence 84 pour l’égalité revendiquent la nécessité du droit à la différence à partir de la dissociation entre citoyenneté, nationalité et culture. Et les think tanks libéraux de la décennie 1980 vont, comme pour d’autres thèmes, récupérer une revendication juste en la détournant de sa cible. En absolutisant le facteur culturel, les libéraux visent à éliminer les explications sociales et économiques des faits. Le culturalisme a alors été adopté non pas comme prise en compte de la diversité, mais comme négation du facteur social. La - culture devient peu à peu la seule explication des difficultés rencontrées dans les milieux populaires. L’État libéral y gagne considérablement puisque les difficultés ressenties sont désormais imputées à la « culture des pauvres » ou à la « culture des immigrés ». Ainsi, en novembre 2005, les - révoltes des quartiers populaires ont-elles été présentées par le chef de l’État lui-même comme « culturelles » : la polygamie, l’intégrisme, les parents démissionnaires, etc.

Ces arguments culturalistes sont souvent repris pour expliquer les violences dans les quartiers. Reprenons l’exemple des parents démissionnaires. Comment l’analysez-vous ?

Saïd Bouamama. On peut dire que l’ampleur de la crise économique amène un certain nombre de parents à gérer d’autres problèmes que ceux de l’éducation de leurs enfants. Il arrive qu’ils se sentent dépassés. Et heureusement que les mécanismes associatifs leur permettent de ne pas rester seuls face à ces questions. Si les parents peuvent se sentir impuissants, ils n’ont jamais été dans la démission. C’est un terme scandaleux. Tous les parents, qu’ils y arrivent ou pas, veulent le meilleur pour leurs enfants. Je n’ai jamais rencontré une personne souhaitant le pire à ses enfants. La thèse de la démission des parents permet, à mon sens, d’éluder la question des enjeux sociaux. On glisse un peu vite d’une fragilisation des parents issue des politiques mises en oeuvre par les classes dominantes à une vision culturaliste capacitaire selon laquelle ils ne sont pas aptes à s’occuper de leurs enfants. On revient alors doucement à ce discours développé sur les familles ouvrières, qui avaient besoin d’être « moralisées » par des assistantes sociales. Historiquement, l’idée demeure que les gens du peuple ne savent pas éduquer leurs enfants. C’est d’un mépris extraordinaire qui permet de justifier toutes les exclusions de droit.

En quoi cette conception culturaliste va-t-elle instaurer des divisions entre « dominés » ?

Saïd Bouamama. Si le facteur culturel est la principale explication des problèmes d’une certaine frange de la population, alors quel est le point commun entre deux personnes qui ont des cultures différentes ? Lorsque le niveau de classe sociale, qui unissait auparavant les précaires, devient secondaire, il ne reste que la différence de culture. En plus de cela, l’arrivée d’une crise économique signifie toujours une concurrence accrue pour les biens rares. Chacun va tenter de mettre en avant ce qu’il estime être des atouts pour accéder à des biens.

D’où viennent ces catégorisations essentialistes ?

Saïd Bouamama. Ces catégories viennent d’un imaginaire colonial non déconstruit et non combattu par la société française. Les manuels d’histoire ont fait l’impasse sur l’analyse de ces imaginaires. Car, une fois la guerre d’Algérie terminée, l’État français a considéré qu’il pouvait tourner la page. Or, le départ des soldats français et des colons n’ont pas du tout suffi à décoloniser les imaginaires. Les entretenir revient à faire un excellent cadeau au libéralisme pour diviser les pauvres entre eux.

Les médias parlent souvent des « jeunes de banlieue » comme d’une entité dangereuse et violente. À quoi correspond cette diabolisation ?

Saïd Bouamama. Il suffit de répondre par une autre question : quelle est la catégorie aujourd’hui qui est entrée en lutte dans toutes ses composantes : lycéennes, ouvrières, sans-emplois ? Ce sont les jeunes. Quand on observe le traitement des mouvements lycéens et celui des quartiers populaires, la différence est flagrante. Il y a les bons jeunes et les mauvais. Imaginons qu’une diversité des jeunesses cesse de s’opposer les unes contre les autres. Imaginons que les divisions ne fonctionnent pas, ce serait un ciment de contestation à craindre par le pouvoir. Présenter la jeunesse des quartiers populaires comme une classe dangereuse relève d’une stratégie politique. Cela ne veut pas dire que la violence n’existe pas dans les quartiers populaires, ni qu’elle n’est pas de plus en plus déstructurée. Simplement, cette violence est d’abord subie avant d’être agie. Quand on interroge des jeunes des quartiers sur leurs rêves, les réponses ne sont pas irrationnelles ou désordonnées. Pour le dire vite : ils veulent un boulot, un logement et une voiture. Ce qui est scandaleux, c’est que ce minimum de « normalité » soit vécu comme inaccessible pour une grande partie de la jeunesse. Cela conduit, pour certains jeunes, à une mise en scène d’un rejet du travail. Ils disent souvent : « Moi, je ne veux pas être un esclave. » C’est là transformer une contrainte en choix pour garder la tête haute. Il y a de l’exigence de dignité dans tout cela.

Vous expliquez en partie le bouleversement de la sphère familiale par les déréglementations économiques. Quelles ont été les étapes de cette déstructuration ?

Saïd Bouamama. La culture ouvrière a été massivement déstabilisée dans certains territoires, où le taux de chômage est passé en vingt ans de 8 % à 45 %. Non seulement les gens ont été mis à la rue, mais on a réussi à leur faire croire qu’ils en étaient responsables. Le travail cristallisait l’image de la famille. La montée du chômage est allée de pair avec un fort recul de la fierté d’être ouvrier. Un père que j’interrogeais me disait : « Comment je peux interdire à mon fils de rentrer au-delà d’une certaine heure, si je ne le nourris même plus et que je vis de ses allocations ? » La perte objective des emplois n’a même pas pu être compensée par un réseau associatif, culturel ou politique valorisant. Les dégâts auraient été moindres si on avait eu une offensive culturelle ouvrière.

Y a-t-il eu un abandon des quartiers populaires par les partis de gauche ?

Saïd Bouamama. Pour moi, la gauche française a eu une vision essentialiste des quartiers populaires. C’est-à-dire qu’elle a sous-estimé la diversité des milieux populaires et les clivages qui pouvaient exister. Les clivages ne sont pas insurmontables si et seulement si on les travaille. Le discours du « tous des ouvriers » a masqué les inégalités qui étaient en train de se construire. Par ailleurs, la gauche française a considéré les enfants issus de l’immigration comme acquis à la gauche. Elle n’avait donc pas d’efforts à faire. Autre écueil des partis de gauche : un rapport paternaliste. La gauche n’a pas décolonisé ses esprits et n’a pas pris la mesure du combat. Pour que ces jeunes Français puissent se reconnaître dans les autres combats, encore faut-il qu’ils soient pris en compte sur leur propre oppression.

Considérez-vous le modèle d’intégration français comme un échec ?

Saïd Bouamama. Pour moi, ce n’est pas un échec mais un mythe. Le concept d’intégration nous empêche de penser la réalité. L’intégration n’est pas une formule magique. Il s’agit d’un mythe car même pour les immigrations européennes, il n’y a pas eu « d’intégration nationale » mais une « intégration de classes ». Il paraît impossible de demander aux immigrés des anciennes colonies françaises d’être dans une logique d’assimilation. Cela impliquerait l’abandon de leur trajectoire. Le mythe est encore plus problématique et visible pour les jeunes Français issus de l’immigration qui, eux, sont nés français, socialisés et culturellement français. À ces derniers on pose toujours la question de l’attestation française. Il s’agit d’une parade pour éluder la vraie question : celle des discriminations racistes comme vecteur de la reproduction des inégalités sociales.

Pendant longtemps, l’école a été considérée comme un moyen de réussite. Pourquoi ?

Saïd Bouamama. L’école républicaine a permis à « l’élite » des classes populaires de pouvoir tirer la famille vers une promotion sociale. Mais l’école reste aussi le lieu, y compris au moment des Trente Glorieuses, où on orientait massivement les enfants d’ouvriers vers des emplois manuels. La sélection à base de catégories sociales a toujours existé. Le système scolaire continue à fonctionner comme un mécanisme de tri des orientations en fonction de la classe sociale d’appartenance, mais aussi en fonction de la couleur de peau. On cultive cette focalisation des parents sur l’école comme fonction de réussite sociale. Du coup, lorsque l’école ne remplit pas le contrat, les parents la fustigent. Ils finissent par perdre de vue que l’école peut d’autant moins pallier les problèmes sociaux que l’État lui enlève les moyens nécessaires pour donner à tous un enseignement de qualité. Le mythe d’une école qui aurait été inégalitaire permet d’opposer parents et enseignants alors qu’ils sont victimes des mêmes politiques libérales.

L’idée des quartiers comme repaires de communautaristes fait-elle partie de la stratégie de stigmatisation d’une catégorie de la population ?

Saïd Bouamama. Oui. Si on observe la manière dont se structurent les territoires, on se trouve face à des politiques sociales qui restreignent le champ des possibles pour certains. Donc, il s’agit avant tout de productions systémiques. Ceux qui précisément ne choisissent pas de vivre ensemble et dont la situation sociale ne permet pas d’aller ailleurs que dans les cités HLM sont taxés de communautaires. Or, il y a communautarisme à partir du moment où on choisit volontairement de se regrouper. S’il faut parler de communautarisme, c’est celui des riches qu’il faut analyser car eux choisissent de vivre dans l’entre-soi. Le repli communautaire serait lié à la culture des gens et serait la cause des problèmes. Ce repli n’est en fait que la conséquence des politiques sociales. Dans le discours sur le communautarisme des quartiers populaires, il y a aussi le discours sur l’islam. Les jeunes issus de l’immigration seraient plus musulmans que leurs parents et surtout adeptes d’un islam plus agressif. Les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas plus religieux que leurs parents. Simplement, ils sont Français et ne veulent plus de l’injonction d’invisibilité qui était faite à leurs parents. De manière plus globale, ces jeunes se sentent regardés comme non-Français et comme immigrés. Pourquoi l’injonction d’aimer la France leur est demandée et pourquoi ne l’est-elle pas aux « autres jeunes ». Je ne connais aucun Français qui aime toute la France. On ne peut pas aimer à la fois les Communards et les Versaillais.

(1) Vient de paraître Les Classes et quartiers populaires. Paupérisation, ethnicisation et discrimination, de Saïd Bouamama. Éditions du Cygne, 2009.

Ixchel Delaporte

Agression de Gaza : "un nom sur chaque balle"

Gideon Levy, éditorialiste et membre de la direction du quotidien Haaretz, que Le Monde a surnommé "une épine dans le flanc d’Israël", est l’honneur du journalisme israélien. Il a signé dans l’édition électronique d’Haaretz du 17 septembre dernier un texte poignant, traduit en français par Info-Palestine sous le titre d’Eviter la honte à La Haye. Nous le publions à notre tour, en le dédiant à ceux des nombreux juifs de notre pays si aveugles dans leur défense inconditionnelle de l’Etat hébreu. Aux dirigeants du Crif, aux Bernard-Henri Lévy, Alexandre Adler ou autre André Glucksmann, ainsi qu’à nos gouvernants complices, nous proposons de méditer la proposition suivante : les Justes d’aujourd’hui sont aux côtés du peuple palestinien opprimé.

"Il y a un nom sur chaque balle, et un responsable pour chaque crime. Le voile de teflon dont Israël s’était recouvert depuis l’opération "Plomb durci" a été arraché une fois pour toute, et maintenant il va lui falloir affronter les questions difficiles. Il est maintenant superflu de demander si des crimes de guerre ont été commis à Gaza, car la réponse nette et qui fait autorité a déjà été donnée. Aussi la question qui doit être posée maintenant est : qui est responsable ? Des crimes de guerre ont été commis à Gaza, il s’ensuit qu’il y a des criminels de guerre en liberté parmi nous. Ils doivent en être tenus responsables et punis. Telle est la conclusion rigoureuse qu’il faut tirer du rapport concis des Nations unies.

Depuis presque un an, Israël essaie de soutenir que le sang versé à Gaza n’était que de l’eau. Un rapport suit un autre rapport, avec les mêmes résultats effroyables : un siège, du phosphore blanc, le mal fait à des civils innocents, une infrastructure anéantie ; des crimes de guerre, dans tous les rapports sans exception. Après la publication du rapport le plus important et le plus accusateur de tous, celui établi par la Commission conduite par le juge Richard Goldstone, les tentatives d’Israël aujourd’hui pour le discréditer sont ridicules, et les fanfaronnades creuses des porte-paroles d’Israël sont pathétiques. (...)

Nul ne peut douter des compétences juridiques de Goldstone, comme juriste de niveau international avec une réputation irréprochable. L’homme qui a découvert la vérité sur le Rwanda et la Yougoslavie a agi de même pour Gaza. L’ancien procureur en chef du Tribunal pénal international de La Haye n’est pas seulement une autorité juridique, il est aussi une autorité morale ; par conséquent, les reproches portés contre lui ne tiennent pas la route. A la place, on ferait mieux de regarder de plus près l’accusé, et il est temps. Ces responsables, ce sont d’abord et avant tout Ehud Olmert*, Ehud Barak et Gabi Ashkenazi. Jusqu’alors et de façon incroyable, aucun d’entre eux n’a payé le moindre prix pour ses méfaits.

"Plomb durci" a été une agression sans retenue, où une population civile totalement démunie de protection n’a montré quasiment aucun signe de résistance pendant l’opération. Cette agression aurait dû soulever un tollé immédiat en Israël. Elle fut un Sabra et Chatila, perpétré cette fois par nous-mêmes. Mais s’il y eut une tempête de protestations dans le pays après Sabra et Chatila, après "Plomb durci", on a décerné des citations.

Il aurait dû suffire de regarder la disparité effroyable dans les victimes - 100 Palestiniens tués pour chaque Israélien - pour secouer la société israélienne tout entière. Il n’y avait nul besoin d’attendre Goldstone pour comprendre que quelque chose d’épouvantable s’était produit entre le David palestinien et le Goliath israélien. Mais les Israéliens ont préféré regarder ailleurs, ou se tenir avec leurs enfants sur les collines autour de Gaza et applaudir à chaque bombe qui faisait son carnage.

Sous couvert de médias engagés, d’analystes et spécialistes criminellement partiaux - qui tous ont empêché les informations de paraître - avec un lavage de cerveau d’une opinion publique sans vigilance, Israël s’est comporté comme si rien n’était arrivé. Goldstone a mis un terme à cela et pour cela, nous devons le remercier. Après, son travail est fini, des mesures concrètes évidentes vont être abordées.

Il aurait mieux valu pour Israël d’avoir eu le courage de changer de cap pendant qu’il était encore temps, et sans attendre Goldstone, d’enquêter véritablement sur la question et non pas ordonner ces investigations grotesques des Forces de défense d’Israël. Il faut faire payer le prix à Olmert et Tzipi Livni de leur décision scandaleuse de ne pas coopérer avec Goldstone, même si à ce point, ça ne sert à rien. Maintenant que le rapport est mis sur la voie du Tribunal pénal international et que des mandats d’arrêt peuvent être délivrés, tout ce qui reste à faire c’est de mettre en place immédiatement une commission d’enquête afin d’éviter la honte à La Haye.
Peut-être que la prochaine fois que nous nous lancerons dans une nouvelle guerre, vaine et misérable, nous prendrons en compte non seulement le nombre de victimes que nous sommes susceptibles d’assumer, mais aussi les dommages politiques lourds que provoquent de telles guerres.

A la veille du Nouvel An juif, Israël devient, et c’est justifié, un pays rejeté et détesté. Nous ne devons pas l’oublier une seule minute."

Gideon Levy

Même si nous applaudissons à tout rompre ce texte, nous demeurons extrêmement sceptique sur sa conclusion - mais Gideon Levy la croit-il lui-même ? Il nous surprendrait en effet beaucoup, malgré les preuves accablantes, qu’un dirigeant israélien soit effectivement traduit devant le Tribunal pénal international... Ce ne serait pourtant et de toute évidence que justice.
*Nous l’écrivions dès le 17 juillet 2006, durant la guerre du Liban : Ehud Olmert, criminel de guerre.



Plume de presse

De l’identité de Darwish

Ou de l'identité palestinienne comme métaphore (résistance, exil, universalité concrète...)
« Le cas Darwish est compliqué. En premier lieu, il a grandi en Israël. Ce n’était pas un Palestinien, comme la plupart des membres de l’OLP. Il n’était pas issu de la diaspora. Il est resté sur place et est devenu un citoyen israélien. Il parle aussi bien l’hébreu que l’arabe. Il est connu comme un des premiers « poètes de la résistance », ainsi qu’on les appelle. En d’autres termes, il traitait de sujets nationalistes et, avant tout de l’affirmation de l’identité palestinienne. Son poème le plus célèbre s’intitule Carte d’identité et commence par « Enregistre ! Je suis Arabe ! » Ce poème s’inspire en fait de son expérience personnelle, lorsqu’il devait se déclarer dans un bureau militaire israélien. Jusqu’en 1966, les Palestiniens d’Israël vivaient sous la loi martiale ; ils avaient constamment à se présenter aux autorités, à se faire enregistrer. Ainsi annonce-t-il au préposé, avec une sorte de défiance : « Enregistre le fait que je suis un Arabe ». Ces mots prononcés presque spontanément ont formé le premier vers d’un poème.

Plus tard, lorsque Darwish quitte la Palestine au début des années soixante-dix pour vivre en Égypte, puis à Beyrouth et à Paris, il devint un poète de l’exil. Je pense qu'il est certainement, avec Nizar Qabbani et Adonis, l'un des grands poètes du monde arabe toujours vivant et actif. Darwich attire d'immenses foules, des miliers de personnes qui viennent l'écouter réciter sa poèsie. C’est un lecteur insatiable, et, en dépit de sa longue affiliation à l’OLP, c’est un homme plutôt réservé, prenant rarement position en public. Ses goûts et ses vues sont franchement cosmopolites. Au cours de vingt dernière années, durant lesquelles il s’est montré extrêmement productif, il a développé un autre style de poésie, que j’appellerai méditatif et lyrique. Il a traité de poésie à partir d’une grande variété de sujet, allant de l’Andalousie à l’Indien d’Amérique, de la gravité de sa maladie jusqu’à, fort récemment, sa dernière grande ode – le terme arabe est qasida – intitulée État de siège. Ce poème est un compte-rendu de l’encerclement de la Cisjordanie durant l’invasion israélienne au printemps 2002

Darwish est un poète aux multiples facettes : sans nul doute une figure publique, mais également un poète profondément personnel et lyrique. Et, à l’échelle mondial, je pense qu’il est certainement l’un des meilleurs. Sa maîtrise du langage le place aux côté de Derek Wolcott et de Seamus Heaney pour citer deux prix Nobel, l’un né aux Caraïbes, l’autre en Irlande. Il réussit à assembler un grand nombre d’images issues de la tradition de l’arabe coranique, mais le fait d’un point de vue profane. Darwish n ‘est pas du tout un poète religieux, mais il utilise dans un grand nombre des ses poèmes le langage du Coran et des Évangiles. Il est aussi influencé par Lorca, Neruda et Ïevtouchenko. Ayant passé quelque temps en Russie, il est pleinement familiarisé avec la tradition de ce pays, aussi bien qu’avec certains des poètes les plus récents, tels que Brodsky...» (Edward Saïd, Culture et résistance)

Chavez, par-delà le bien et le mal

"Obama, rejoins le socialisme", a dit le président vénézuélien devant l'Assemblée générale de l'ONU à son homologue américain, l'appelant à rejoindre "l'axe du mal"

Le président vénézuélien Hugo Chavez a appelé jeudi son homologue américain Barack Obama à se montrer cohérent avec les idées qu'il défend et à rejoindre "l'axe du mal", lors d'un discours devant l'Assemblée générale de l'ONU à New York.

"Obama, rejoins le socialisme !", a dit Hugo Chavez, un habitué du sarcasme et des tirades antiaméricaines. "Nous t'invitons à rejoindre l'axe du mal !".

La précédente administration américaine de George W. Bush avait introduit cette expression pour désigner des pays comme l'Iran ou la Corée du Nord, soupçonnés de se procurer des armes de destruction massive et de soutenir le terrorisme.

"Who are you, Obama ?"

Le président vénézuélien a abordé de nombreux thèmes lors de son discours, depuis le socialisme comme moyen de "sauver" le monde du capitalisme, jusqu'à la crise politique au Honduras.

A chaque fois, il a eu pour le président américain quelques mots, parfois élogieux, parfois ironiques. Il l'a notamment invité à lever l'embargo contre Cuba et à s'abstenir d'utiliser des bases militaires en Colombie.

A propos du Honduras, il a accusé l'armée américaine d'avoir été complice du coup d'Etat du 28 juin, tout en laissant entendre que Barack Obama pouvait aussi avoir été impliqué.

"Y aurait-il deux Obama?", a demandé le chef de file de la gauche en Amérique latine aux représentants des 192 Etats membres de l'ONU. "Who are you, Obama?" ("Qui es-tu Obama?"), a-t-il ajouté en anglais, mi-ironique mi-provocant.

Plus long qu'Obama, moins que Kadhafi

Hugo Chavez a néanmoins souligné que l'opinion qu'il avait de Barack Obama était différente de celle qu'il avait de son prédécesseur George W. Bush, qu'il avait qualifié de "diable" en 2007 à cette même tribune, ajoutant que sa présence faisait que ça sentait le "soufre".

"Hier [Barack Obama] a parlé ici, ça ne sent plus le soufre", a dit Hugo Chavez, riant comme à chaque fois de ses propos. "Ca sent plutôt autre chose : ça sent l'espoir", a-t-il ajouté.

Le discours du président vénézuélien a duré un peu plus d'une heure. "Je ne vais pas parler plus longtemps que [Mouammar] Kadhafi", a-t-il dit, provoquant l'hilarité de la salle. La veille, le leader libyen avait prononcé un discours-fleuve de plus d'une heure et demie dans lequel il s'en était pris à l'Occident.

"Kadhafi a parlé pour nous tous", a ajouté Hugo Chavez, provoquant de nouveaux rires et des applaudissements. "Je ne vais pas non plus parler moins qu'Obama", a-t-il averti. Le discours du président américain, la veille, avait duré 40 minutes.

Nouvel Obs

Lettre à Caroline Fourest, Editrice (?)

Salut Caroline,

J’ai ici un manuscrit autobiographique. Un genre de « Candide » d’aujourd’hui. Et, jusqu’ici, je n’arrive pas à trouver un éditeur. Tu les connais dans le monde de l’édition, je vais pas te faire un dessin, toutes des couilles molles capitulardes, toujours près à se coucher devant l’EURABIA qui se profile.

Le pitch du manuscrit le voici :

C’est l’histoire d’un jeune homosexuel Arabe, Amine, tendance bear, qui se fait enlever lors d’une tournante dans un parking d’une cité du 9-3 par son grand frère salafiste qui voulait le forcer à porter la burqa et à se faire exciser (à l’aide d’un couteau sino-suisse) par une guérisseuse malienne de Tombouctou. Ce qui arrangeait parfaitement Amine, car la promiscuité avec un mouton apostat (certains le disaient Hébreu) destiné à être égorgé dans une baignoire d’un F4 lui devenait de plus en plus intolérable. Échappant, sans le vouloir, tout en le voulant, à ce communautarisme aussi archaïque que zoologique. Il fut donc expédié dans un container de dattes israéliennes, transitant par Dubai, vers l' Afghanistan par la filière ouighoure, où il fut livré au Mollah Omar et à ses Talibans. Qui, après de multiples sévices sexuels et esthétiques (le Taliban a des goûts de chiottes !), l’échangèrent à Ahmadinejad, par le biais de Jihadistes originaire qui de Vénissieux, qui du Londonistan, contre 300 g d’uranium enrichi (mais genre nouveau riche !). Et c’est à Qom, que, camouflé sous un tchador, il assista à une messe noire, un sabbat islamo-gauchiste animé par Tariq Ramadan et des membres des Indigènes de la République, dont il distingua clairement les pieds fourchus et la langue de vipère. Il put voir également comment dans des madrasas Baloutches on lavait le cerveau de jeunes enfants à l’aide de mantras célébrant la victimisation et l'anticolonialisme, mantras répétés jusqu’à la nausée. Après de multiples tribulations qu’il serait trop long de narrer ici, il fut sauvé, in extremis, d’un écartèlement (à quatre bourricots), l’empalement lui aurait été trop plaisant à cet inverti !, par un contingent de paras français qui était en reconnaissance dans la région, « mission civilisatrice » dans le Golf Arabo-Persique oblige. C’est alors que, en un éclair, par une fulgurance peu commune, Amine compris le sens de son existence jusqu’ici, il entonna « La Marseillaise », sachant que le caporal auvergnat H., chef de l’unité, qui venait de le libérer était à l'évidence l’amour de sa vie…

Qu’est-ce que t’en penses, Caro ? Ça le fait ? Pourrais-tu également transmettre ce résumé à Mohamed Sifaoui ?

De l'Islam de Belgique

« Lorsqu'on évoque l'Islam, l'histoire, la politique, l'économie ne comptent pas...» (Edward Saïd, Covering Islam)

Il est une constante de la représentation institutionnelle de l’islam en Belgique, elle a toujours été pensée en dehors des problèmes concrets des musulmans du lieu ; hétéronomie qui indique le caractère postcolonial de sa gestion. Ainsi, la loi du 19 juillet 1974 fut adoptée à l’initiative du ministère des affaires étrangères, en pleine crise énergétique, afin de favoriser le partenariat avec les pays exportateurs de pétrole. Les différentes étapes de l’institutionnalisation suivent les tribulations de la politique pétrolière de cette époque : la loi de 1974 est votée quelques semaines avant la visite prévue du roi Fayçal d’Arabie saoudite ; le 6 mai 1978 est promulgué, deux jours avant la tournée de son successeur, le roi Khaled, un arrêté royal d’exécution de la loi de 1974. Le pavillon oriental du Cinquantenaire, ancien bâtiment de l'Exposition nationale de Bruxelles de 1880 construit à l'initiative de Léopold II, fut offert par le roi Baudouin au monarque saoudien, afin d'être réaffecté en mosquée ; ce bâtiment devint le siège du Centre Islamique et Culturel de Belgique.

Au cours des années 1980, au nom de « l’islam de Belgique », on développe l’idée d’une naturalisation de l’islam, on s'interroge sur la nécessité de l'autochtoniser. Notamment en déterminant les pratiques qui peuvent être acceptables (foulard...), en élaborant une politique de formation des imams, etc. En juin 1990 est reconnu un interlocuteur, le Conseil provisoire des sages, dont les membres sont choisis uniquement en raison de leur participation aux débats sur l’immigration. Cet organisme reproduit même les différentes divisions partisanes du pays : chaque parti, chaque région, chaque communauté avaient son quota équitable de musulmans (autant de proches des socialistes que des sociaux-chrétiens, autant d’habitants de la région flamande que de la région wallonne, alors que 40 % des musulmans vivent à Bruxelles). Soulignons au passage que dans ce processus de naturalisation, les convertis de souche, dont le rôle est central dans un tel dispositif, sont le symétrique de la figure de l'évolué dans les colonies - «celui qui est presque blanc, mais pas tout à fait... » -, puisqu'ils sont la garantie de l'occidentalisation de cet Islam de Belgique (égalité homme/femme, culture démocratique...).

A partir du milieu des années 1990, à la suite de nombreuses « affaires » médiatique (foulard, création d’une école islamique...), les différents protagonistes cherchent à dédramatiser le problème, en invoquant son aspect technique. Cette nouvelle approche n’en demeure pas moins un élément d’enjeux politiques et sociaux les plus divers. Les différents règlements électoraux reflètent ainsi avant tout les débats internes de la société belge : crainte d’un danger intégriste (sélection des candidats par la sûreté d’Etat), naturalisation de l’islam (prime aux convertis), thématique de l’immigration (division en collèges par nationalité d’origine et non en fonction des rites ou écoles religieuses), opposition à la gestion diplomatique de l’islam (inéligibilité des personnes détentrices d’un passeport diplomatique), imaginaire d’une intégration réussie par l’école.

Soit grosso modo trois étapes. Au cours des années 1970 et dans le cadre d’une orientation « diplomatique », l’interlocuteur reconnu des autorités est le Centre islamique et culturel, qui n’est autre que le représentant de la Ligue mondiale islamique, émanation de l’Arabie saoudite. Dans les années 1980, les représentants sont considérés devoir l’être non des musulmans ou des associations cultuelles islamiques, mais de la réussite des politiques d’intégration. Par leurs professions et statuts sociaux (chercheur, syndicaliste, médecin, avocat...), les membres du Conseil provisoire des sages sont censés matérialiser l’intégration réussie de l’immigration musulmane en Belgique. De fait, de nombreux musulmans laïques participeront à cet organe, dont les fonctions sont pourtant uniquement de gestion des affaires du culte. Au milieu des années 1990, la notion de « représentant » connaît une nouvelle mutation. Il s’agit désormais d’entériner une « ethnicisation » des musulmans et les élections y ont contribué. Les fonctions de l’exécutif élu ne sont ainsi nullement liées au culte islamique en Belgique, ni aux difficultés pratiques rencontrées par les musulmans dans le respect quotidien de leurs convictions. Il est mis en place en tant que porte-parole d’un groupe qualifié de « musulmans » - quels que soient les convictions et le degré de pratique religieuse des membres.

A cette ethnicisation en tant que musulman s'ajoute une fragmentation par nationalité, - se fondant sur une taxinomie aux résonances (post)-coloniales, où l'on trouve les catégories suivantes : « marocain », « turc », « autres nationalités » et « convertis » - , à laquelle des ministres belges ont activement participé, en négociant l’institutionnalisation de l’islam belge, voire sa sous-traitance par les ambassades de Turquie et du Maroc notamment. Cette délégation vers des institutions et des personnes tierces qu'on présume être de même origine a elle aussi des relents coloniaux.

Il est à remarquer, signe d'une exceptionnalité de l'Islam en terme de traitement, que l’ Exécutif des musulmans de Belgique, définit une représentation générale ; alors que pour les institutions des autres cultes, la détermination religieuse s’élabore sous la forme d’un qualificatif (Consistoire israélite, Synode protestant...) sans présager de la portée de la représentation de l’organe reconnu. On construit ainsi une ethnicité musulmane de Belgique, dont les usages sont assez prévisibles (fabrique d'une Altérité radicale).

Pour échapper à cette logique postcoloniale, où le screening par la Sureté nationale belge n'est finalement que la continuité et l'aboutissement des manières de faire successives, il convient de s'interroger sur les enjeux politiques qui dictent la recherche d’une représentation de l’islam. En Belgique, comme ailleurs en Europe, il convient donc de mettre à jour intérêts et imaginaires qui structurent cette stratégie, qui, pour l'essentiel, sont étrangers aux difficultés quotidiennes rencontrées par les musulmans du royaume. Cette stratégie peut se résumer comme suit : les musulmans de Belgique, mineurs sempiternels, sont une population inaccomplie en terme de citoyenneté, qui ont un éternel besoin d'être mise en tutelle, d'être cornaquée par une instance supérieure. Nous nous attèlerons à le démontrer...

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Le non-prototype du Monde

Brice Hortefeux a trop d'humour. Je le sais, il m'a fait une blague un jour. Jeudi 24 avril 2008. Le ministre de l'immigration et de l'identité nationale doit me recevoir dans son majestueux bureau. Un rendez-vous pour parler des grèves de sans-papiers dans des entreprises. Je ne l'avais jamais rencontré. Je patiente avec ma collègue Laetitia Van Eeckhout dans cet hôtel particulier de la République. Brice Hortefeux arrive, me tend la main, sourit et lâche : "Vous avez vos papiers ?"

Trois mois plus tard, lundi 7 juillet, jour de mes 29 ans. Je couvre le Tour de France. Je prépare un article sur ces gens qui peuplent le bord des routes. Sur le bitume mouillé près de Blain (Loire-Atlantique), je m'approche d'une famille surexcitée par le passage de la caravane, pour bavarder. "Je te parle pas, à toi", me jette un jeune homme, la vingtaine. A côté de moi, mon collègue Benoît Hopquin n'a aucun souci à discuter avec cette "France profonde". Il m'avouera plus tard que, lorsque nous nous sommes accrédités, une employée de l'organisation l'a appelé pour savoir si j'étais bien son... chauffeur.

Je pensais que ma "qualité" de journaliste au Monde allait enfin me préserver de mes principaux "défauts" : être un Arabe, avoir la peau trop basanée, être un musulman. Je croyais que ma carte de presse allait me protéger des "crochets" balancés par des gens obsédés par les origines et les apparences. Mais quels que soient le sujet, l'endroit, la population, les préjugés sont poisseux.

J'en parle souvent à mes collègues : ils peinent à me croire lorsque je leur décris cet "apartheid mental", lorsque je leur détaille les petites humiliations éprouvées quand je suis en reportage, ou dans la vie ordinaire. A quoi bon me présenter comme journaliste au Monde, on ne me croit pas. Certains n'hésitent pas à appeler le siège pour signaler qu'"un Mustapha se fait passer pour un journaliste du Monde !"

Ça fait bien longtemps que je ne prononce plus mon prénom lorsque je me présente au téléphone : c'est toujours "M. Kessous". Depuis 2001, depuis que je suis journaliste, à la rédaction de Lyon Capitale puis à celle du Monde, "M. Kessous", ça passe mieux : on n'imagine pas que le reporter est "rebeu". Le grand rabbin de Lyon, Richard Wertenschlag, m'avait avoué, en souriant : "Je croyais que vous étiez de notre communauté."

J'ai dû amputer une partie de mon identité, j'ai dû effacer ce prénom arabe de mes conversations. Dire Mustapha, c'est prendre le risque de voir votre interlocuteur refuser de vous parler. Je me dis parfois que je suis parano, que je me trompe. Mais ça s'est si souvent produit...
A mon arrivée au journal, en juillet 2004, je pars pour l'île de la Barthelasse, près d'Avignon, couvrir un fait divers. Un gamin a été assassiné à la hachette par un Marocain. Je me retrouve devant la maison où s'est déroulé le drame, je frappe à la porte, et le cousin, la cinquantaine, qui a tenté de réanimer l'enfant en sang, me regarde froidement en me lançant : "J'aime pas les Arabes." Finalement, il me reçoit chez lui.

On pensait que le meurtrier s'était enfui de l'hôpital psychiatrique de l'endroit : j'appelle la direction, j'ai en ligne la responsable : "Bonjour, je suis M. Kessous du journal Le Monde..." Elle me dit être contente de me recevoir. Une fois sur place, la secrétaire lui signale ma présence. Une femme avec des béquilles me passe devant, je lui ouvre la porte, elle me dévisage sans me dire bonjour ni merci. "Il est où le journaliste du Monde ?", lance-t-elle. Juste derrière vous, Madame : je me présente. J'ai alors cru que cette directrice allait s'évanouir. Toujours pas de bonjour. "Vous avez votre carte de presse ?, me demande-t-elle. Vous avez une carte d'identité ?" "La prochaine fois, Madame, demandez qu'on vous faxe l'état civil, on gagnera du temps", riposté-je. Je suis parti, évidemment énervé, forcément désarmé, avant de me faire arrêter plus loin par la police qui croyait avoir... trouvé le suspect.

Quand le journal me demande de couvrir la révolte des banlieues en 2005, un membre du club Averroès, censé promouvoir la diversité, accuse Le Monde d'embaucher des fixeurs, ces guides que les journalistes paient dans les zones de guerre. Je suis seulement l'alibi d'un titre "donneur de leçons". L'Arabe de service, comme je l'ai si souvent entendu dire. Sur la Toile, des sites d'extrême droite pestent contre "l'immonde" quotidien de référence qui a recruté un "bougnoule " pour parler des cités.

Et pourtant, s'ils savaient à quel point la banlieue m'était étrangère. J'ai grandi dans un vétuste appartement au coeur des beaux quartiers de Lyon. En 1977, débarquant d'Algérie, ma mère avait eu l'intuition qu'il fallait vivre au centre-ville et non pas à l'extérieur pour espérer s'en sortir : nous étions parmi les rares Maghrébins du quartier Ainay. Pour que la réussite soit de mon côté, j'ai demandé à être éduqué dans une école catholique : j'ai vécu l'enfer ! "Retourne dans ton pays", "T'es pas chez toi ici", étaient les phrases chéries de certains professeurs et élèves.

Le 21 décembre 2007, je termine une session de perfectionnement dans une école de journalisme. Lors de l'oral qui clôt cette formation, le jury, composé de professionnels, me pose de drôles de questions : "Etes-vous musulman ? Que pensez-vous de la nomination d'Harry Roselmack ? Si vous êtes au Monde, c'est parce qu'il leur fallait un Arabe ?"

A plusieurs reprises, arrivant pour suivre un procès pour le journal, je me suis vu demander : "Vous êtes le prévenu ?" par l'huissier ou le gendarme en faction devant la porte du tribunal.
Le quotidien du journaliste ressemble tant à celui du citoyen. Depuis plusieurs mois, je cherche un appartement. Ces jours derniers, je contacte un propriétaire et tombe sur une dame à la voix pétillante : "Je m'appelle Françoise et vous ?" "Je suis M. Kessous ", lui répondis-je en usant de mon esquive habituelle. "Et votre prénom ?", enchaîne-t-elle. Je crois qu'elle n'a pas dû faire attention à mon silence. Je n'ai pas osé le lui fournir. Je me suis dit que, si je le lui donnais, ça serait foutu, qu'elle me dirait que l'appartement avait déjà été pris. C'est arrivé si souvent. Je n'ai pas le choix. J'hésite, je bégaye : "Euhhhhh... Mus... Mustapha."

Au départ, je me rendais seul dans les agences immobilières. Et pour moi - comme par hasard - il n'y avait pas grand-chose de disponible. Quand des propriétaires me donnent un rendez-vous pour visiter leur appartement, quelle surprise en voyant "M. Kessous" ! Certains m'ont à peine fait visiter les lieux, arguant qu'ils étaient soudainement pressés. J'ai demandé de l'aide à une amie, une grande et belle blonde. Claire se présente comme ma compagne depuis cet été et fait les visites avec moi : nous racontons que nous allons prendre l'appartement à deux. Visiblement, ça rassure.

En tout cas plus que ces vigiles qui se sentent obligés de me suivre dès que je pose un pied dans une boutique ou que ce vendeur d'une grande marque qui ne m'a pas ouvert la porte du magasin. A Marseille, avec deux amis (un Blanc et un Arabe) - producteurs du groupe de rap IAM -, un employé d'un restaurant a refusé de nous servir...

La nuit, l'exclusion est encore plus humiliante et enrageante, surtout quand ce sont des Noirs et des Arabes qui vous refoulent à l'entrée d'une boîte ou d'un bar. Il y a quatre mois, j'ai voulu amener ma soeur fêter ses 40 ans dans un lieu parisien "tendance". Le videur nous a interdit l'entrée : "Je te connais pas !" Il aurait pourtant pu se souvenir de ma tête : j'étais déjà venu plusieurs fois ces dernières semaines, mais avec Dida Diafat, un acteur - dont je faisais le portrait pour Le Monde - et son ami, le chanteur Pascal Obispo.

Fin 2003, je porte plainte contre une discothèque lyonnaise pour discrimination. Je me présente avec une amie, une "Française". Le portier nous assène le rituel "Désolé, y a trop de monde." Deux minutes plus tard, un groupe de quinze personnes - que des Blancs - entre. Je veux des explications. "Dégage !", m'expédie le videur. La plainte sera classée sans suite. J'appellerai Xavier Richaud, le procureur de la République de Lyon, qui me racontera qu'il n'y avait pas assez d'"éléments suffisants".

Que dire des taxis qui après minuit passent sans s'arrêter ? Que dire de la police ? Combien de fois m'a-t-elle contrôlé - y compris avec ma mère, qui a plus de 60 ans -, plaqué contre le capot de la voiture en plein centre-ville, fouillé jusque dans les chaussettes, ceinturé lors d'une vente aux enchères, menotté à une manifestation ? Je ne compte plus les fois où des agents ont exigé mes papiers, mais pas ceux de la fille qui m'accompagnait : elle était blonde.

En 2004, une nuit à Lyon avec une amie, deux policiers nous croisent : "T'as vu le cul qu'elle a !", lance l'un d'eux. "C'est quoi votre problème ?" rétorqué-je. Un des agents sort sa matraque et me dit en la caressant : "Il veut quoi le garçon ?" Le lendemain, j'en ai parlé avec Yves Guillot, le préfet délégué à la police : il m'a demandé si j'avais noté la plaque de leur voiture. Non...

En 2007, la brigade anticriminalité, la BAC, m'arrête sur les quais du Rhône à Lyon : j'étais sur un Vélo'v. On me demande si j'ai le ticket, si je ne l'ai pas volé. L'autre jour, je me gare en scooter sur le trottoir devant Le Monde. Je vois débouler une voiture, phares allumés : des policiers, mains sur leurs armes, m'arrêtent. Je leur dis que je travaille là. Troublés, ils me demandent ma carte de presse, mais pas mon permis.

Des histoires comme celles-là, j'en aurais tant d'autres à raconter. On dit de moi que je suis d'origine étrangère, un beur, une racaille, un islamiste, un délinquant, un sauvageon, un "beurgeois", un enfant issu de l'immigration... Mais jamais un Français, Français tout court.

Mustapha Kessous

De la rhétorique de l'intégration

On a vu et revu la vidéo par laquelle est venu le scandale, cette vidéo où le ministre des « mimiles », égale à lui même, énonce intempestivement l’inconscient de la République. Mais il est une séquence très particulière qui mérite toute notre attention, c’est la séquence qui traite de « l’intégration » proprement dite. Tant la séquence en soi que le compte rendu critique qui a été fait par deux éminents chercheurs en sciences humaines (Stéphane Beaud et Gérard Noiriel). Ecoutons les :

« Mais brutalement une autre logique s’impose. Des propos politiques viennent en effet se greffer sur la scène. On entend quelqu’un affirmer : "Ça, c’est l’intégration !" Puis un autre participant, invisible à l’écran, enchaîne : "Lui (en parlant d’Amine), il parle arabe." Cette phrase est perçue comme une mise en question de la bonne intégration d’Amine. Sans doute que, pour les militants de l’UMP, on ne peut pas être "intégré" et parler l’arabe. C’est pourquoi Copé intervient à nouveau en s’efforçant cette fois de focaliser l’attention sur l’ennemi socialiste. Commentant les propos qui viennent d’être tenus, il dit à l’intention d’Amine, en le vouvoyant : "Ne vous laissez pas impressionner, ce sont des socialistes infiltrés."

Mais une autre intervenante (sans doute la secrétaire départementale UMP des Landes), soucieuse de prouver qu’Amine est "vraiment" intégré, se livre à une surenchère révélatrice des préjugés qui règnent dans ce parti : "Il est catholique, il mange du cochon et il boit de l’alcool." Et joignant le geste à la parole, sans doute pour féliciter le jeune homme d’avoir fait autant d’efforts pour devenir "comme nous", elle se rapproche de lui et lui fait la bise.

Ce commentaire et ce geste suscitent un surcroît de rires et l’approbation générale. Il semble donc que tout le monde soit d’accord pour penser que l’intégration puisse être définie à partir de critères religieux, et pour considérer que la seule communauté qui pose problème à cet égard, ce sont les musulmans. C’est dans ce contexte précis, de rigolade franchouillarde, dans ce moment de "déconne" (comme dira Jean-François Copé) que Brice Hortefeux donne un deuxième aperçu de l’étendue de son humour. Au lieu de critiquer les stéréotypes qui viennent d’être énoncés, il affirme à propos d’Amine : "Il ne correspond pas du tout au prototype, alors." Ce qui revient à affirmer qu’il existerait un "prototype" de l’Arabe, défini de manière quasi exclusive par son appartenance religieuse (islam) et par le respect des interdits alimentaires (le porc, l’alcool).
»(*)

A première vue l’analyse apparaît honnête, perspicace et de bonne tenue, mais à y regarder de plus près on s’aperçoit que la critique se loge dans le contenu de ce que les membres du parti d’Hortefeux entendent par « intégration » (à savoir être Arabe, être musulman, manger du porc...). Rien que dans le contenu. Jamais plus. Il n’est fait mention ni de la légitimité ni de la pertinence de son usage. Pourtant l’emploi de ce concept, de cette catégorie ne releve pas de l' évidence, il aurait du être interrogé. Cet usage, pour tout dire, est plus que tendancieux. Si le concept d’ intégration est douteux, l’usage de celui-ci relève d’une logique de l’injonction paradoxale, du type « sois naturel ». Soit d’un usage à la perversité avérée. Dans ce dispositif, le discours de l’intégration se fait toujours au détriment de « l’intégré », tandis que celui qui en use en tire profit, suivant une logique de bénéfice secondaire. Cette rhétorique est au mieux la marque d’une situation « problématique » et au pire le signe que la chose est « impossible » à réaliser. Cette ambiguïté intéressée de « la rhétorique de l’intégration », qui mieux que Abdelmalek Sayad a pu la relever et l’expliquer :

« Il convient de rappeler qu’il en est de l’immigration et de l’intégration (des immigrés) comme de nombres d’autres objets sociaux (et surtout d’états mentaux), où l’on se met « à vouloir ce qui ne peut être voulu ». C’est comme de vouloir oublier, comme de vouloir être naturel, comme de vouloir dormir. Il suffit de vouloir oublier pour ne pas oublier, il suffit de vouloir être naturel pour ne pas paraître naturel. L’intégration est, elle aussi, de cet ordre : à poursuivre une intégration qui, à proprement parler, ne dépends pas objectivement de la volonté des agents, on risque de tout rater. L’intégration derrière laquelle on court a pour caractéristique, comme tous les autres états, de ne pouvoir se réaliser que comme effet secondaire d’actions entreprise à d’autres fins. Quand bien même on convient de ne pas entendre l’intégration comme une simple forme de promotion sociale, elle est au bout d’efforts qui n’ont pas besoin de se donner l’intégration comme objectif. Aussi l’invite à l’intégration, la surabondance du discours sur l’intégration ne manquent pas d’apparaître aux yeux des plus avertis ou des plus lucides, quant à leur positions au sein de la société, en tous les domaines de l’existence, comme un reproche pour manque d’intégration, voire même comme une sanction ou un parti pris sur une intégration « impossible », jamais totale, jamais totalement et définitivement acquise. » (La double absence)

Et il se fait que, sans fausse modestie, nous soyons les plus avertis, les plus lucides et surtout les moins dupes…

On a pu dire que l’enfer était pavé de bonnes intentions, et bien, « la rhétorique de l’intégration », sous ses dehors bonhommes, peu importe celui qui la tient, c’est l’enfer du descendant d’immigré ! Ce n'est pas Amine Benalia-Brouch qui nous contredira...

Le championnat du monde des « mimiles »



Il se déroule aujourd’hui en France un concours des plus insolites : le championnat du monde des « mimiles ». Toutes catégories. Épreuve dont on nous dit qu'elle sera très disputée. Qui remportera la médaille d’or, si convoitée ? Sans nul doute un enfant du pays, tant les ressources de la patrie des droits de l'homme en la matière sont inépuisables, on y touche du doigt le sublime, l'infini cher à Pascal… Jusqu’ici, on avait pu croire que le trophée, les lauriers de la gloire, la consécration du « mimile d’élite » reviendrait, tout naturellement, à Brice Hortefeux, le tigre (de papier) d’Auvergne, avec son fameux lancé, aussi précis que la descente d’un ballon de rouge au bistrot d'en face, « Il en faut toujours un. Quand il y en a un ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes… », mais c'était allé bien vite en besogne, car sur la dernière ligne droite (extrême-droite ?), par une échappée (rétrospective) de dernière minute, George Frèche, le lion (fou) de Septimanie, double le tigre avec une maestria fabuleuse faite d’érudition et d’intelligence : « Qui c’est qui à fait l’Algérie ? c’est nous ? L'Algérie a été colonisée quatre fois… Les Algériens la plupart sont analphabètes…» (*). Le concours n’étant pas fini restons prudents, toutes les options restent ouvertes, tout peut encore arriver, y aura-t-il un troisième homme qui viendra départager les deux monstres sacrés, ces Titans de la franchouillardise ? Le danger viendra-t-il du baroud d'honneur, d'une saillie qui tue du « cylcope de Saint-Cloud » ? Qui sait ? L'avenir nous le dira... Roland Barthes l’avait remarqué, il y a de l’épique, du divin dans le sport. Quel que soit le sport!

Il y a 27 ans à Sabra et Chatila







Il y a 27 ans, de la nuit du 16 au matin du 18 septembre (1982), les forces militaires israéliennes occupant le Liban, sous le commandement direct de l’ancien ministre israélien de la Défense Ariel Sharon, ont fourni la logistique militaire pour le massacre de milliers de civils palestiniens dans les camps des réfugiés de Sabra et Chatila par les milices Phalangistes libanaises. Qui s'en souvient ?

Il y a 27 ans, jour pour jour, nuit pour nuit, Ariel Sharon planifia l'entrée de milices Phalangistes libanaises qui, durant 36 à 48 heures, ont massacré les habitants tandis que l’armée israélienne sensée garder les camps, les éclairait de nuit à l’aide de fusées lumineuses...

Il y a 27 ans, jour pour jour, nuit pour nuit, on pouvait voir dans ces camps de réfugiés des piles de corps jonchant les rues, des fosses communes construites à la hâte, des bâtiments rasés par des bulldozers passant sur des cadavres...

Il y a 27 ans, jour pour jour, nuit pour nuit, tout cela se passait au vu et au su de la communauté internationale, cette grande muette qui recouvre la parole quand il est question d'Iran par exemple. Et à ce jour, aucun des commandants ou officiers responsables du massacre n’a été tenu pour responsable ou poursuivi pour crimes contre l’humanité.

Cela fait 27 ans d'impunité la plus totale tant pour les commandants de l’armée israélienne que pour les membres des milices Phalangistes, alors que les milliers de victimes civiles palestiniennes de Sabra et Chatila sont toujours enterrées dans des fosses communes à Beyrouth, au Liban.

Et que l'on nous parle pas de la Loi dite de compétence universelle, cette blague belge...


Abdelkrim le surréaliste

Les Surréalistes ne furent pas (qu') une bande d'hurluberlus, une avant-garde d’artistes traînant leurs savates sur Saint-Germain, une clique de poètes maudits narcissiques et coupés du monde. Ce sont là des images d'Epinal destinées aux étudiants des Beaux-Arts. La « bande à Breton », au sortir de la première guerre mondiale, avait une conscience aiguë des maux de son époque. Aussi savait-elle prendre des risques. Elle s’est ainsi engagée à corps perdu contre le colonialisme, et tout particulièrement contre la guerre du Rif qui sévissait dans les années '20. Cette guerre, dont Abdelkrim fut la figure majeure, annonciatrice des mouvements de décolonisation d’après-guerre, sonnait le glas d’une prétendue supériorité ontologique de l’Occident... Cette guerre fut le prélude aux sanglots longs de « l’homme blanc » !

« L’idée de patrie nous répugne, le patriotisme est une hystérie » « la France n’existe pas ! » « Nous n’acceptons pas l’esclavage que fait peser sur le monde la haute finance internationale, nous n’acceptons pas les lois de l’économie et de l’échange, nous sommes des barbares puisque cette sorte de civilisation nous écœure, nous nous déclarons en insurrection contre l’histoire » « Non seulement l’appareil de guerre moderne est mis en branle contre les peuplades soulevées, mais on demande aux intellectuels de justifier la répression. » « Nous souhaitons de toutes nos forces, que les révolutions, les guerres et les insurrections coloniales viennent anéantir cette civilisation occidentale dont vous défendez jusqu’en Orient la vermine, et nous appelons cette destruction comme l’état de choses le plus acceptable pour l’esprit. » « Vivent les Rifains !» « Vive Abdelkrim ! » (André Breton )

« Nous aurons raison de tout. Et d’abord nous ruinerons cette civilisation qui vous est chère, où vous êtes moulés comme des fossiles dans le schiste. Monde occidental, tu es condamné à mort. Nous sommes les défaitistes de l’Europe, prenez garde, ou plutôt non : riez encore. Nous pactiserons avec tous vos ennemis, nous avons déjà signé avec ce démon le Rêve, le parchemin scellé de notre sang et de celui des pavots. Nous nous liguerons avec les grands réservoirs de l’irréel. Que l’Orient, votre terreur, enfin, à notre voix réponde. Nous réveillerons partout les germes de la confusion et du malaise. Nous sommes les agitateurs de l’esprit. Juifs, sortez des ghettos. Bouge, Inde aux milles bras, grand Brahma légendaire. A toi, Egypte. Soulève-toi, monde. Riez bien. Nous sommes ceux-là qui donneront toujours la main à l’ennemi. » (Louis Aragon)

« Tuer n’est jamais voler.
Un bâton pour lui, un drapeau pour toi, les coups pour les autres.
Une arme suffit pour montrer la vie.
Tout ce qui vole n’est pas rose.
Avant le déluge, désarmez les cerveaux.
Un clou chasse Hercule.
Qu’ils soient sans canne ou qu’ils ne soient pas.
Incendie et mitrailleuse sont les deux mamelles de la France.
Les aigles ne se prennent pas avec les mots.
Duvet cotonneux des médailles.
Honore Sébastien si Ferdinand est libre. » (Paul Eluard )


Pour qui roule la LICRA ?


Tout à l’inverse du MRAP, qui lui portera plainte, la LICRA se dégonfle. Elle, par l'intermédiaire de son président, Patrick Gaubert, ne croit pas, ne veut pas croire, à un dérapage raciste d’Hortefeux, c’est plein de compréhension, ou plutôt de complaisance et d’égards, qu’elle aborde l’affaire. Voyez vous même :

« Nous avons rencontré un homme plus qu'un ministre. Un homme vraiment navré par toute cette polémique et qui nous dit : "pour qu'il y ait des excuses, il faut qu'il y ait une faute. Et dans mes propos, à aucun moment je n'ai mentionné une quelconque origine". Il ajoute -et c'est ce que nous souhaitions- : "en revanche, si mes propos ont été inexactement reçus ou interprétés, je suis sensible à l'émotion suscitée".

Sur cette affaire, le ministre avait une position qui était : "on est en train de vouloir m'assassiner médiatiquement". Mais il y a des gens qui ont vu le film et qui ont une autre version - il ne s'agit pas que d'adversaires, comme il le dit. Il y aussi des gens qui ont pu être blessés. Ce dont la Licra voulait être sûre, c'est que Brice Hortefeux ait bien compris et intégré que ses propos aient pu blesser. Il l'a compris et je crois qu'il le redira ce soir [lundi] puisqu'il est invité à la rupture du jeûne organisé par le Conseil français du culte musulman (CFCM).

Je connais Brice Hortefeux depuis une trentaine d'années. Il a plein de défauts, comme vous et moi, mais en tout cas pas celui d'être raciste. Et si Patrick Gaubert a des amitiés avec Brice Hortefeux ou Nicolas Sarkozy, le président de la Licra n'a d'amitié avec personne [NDLR: Patrick Gaubert est un ancien député européen élu sur une liste UMP. Il a été conseiller municipal RPR à Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine, le département de Nicolas Sarkozy].

De plus, Brice Hortefeux nous a clairement réaffirmé sa détermination à lutter contre toute forme de discrimination ou de racisme.
» (*)
Son directeur, à l'époque, avait-il demandé des précisions au « cyclope de Saint-Cloud » pour savoir ce qu’il avait voulu dire par « un détail de l’histoire » en parlant de la Shoah ? Où se situe la ligne blanche en matière de racisme ? Y-a-t-il des bons clients du racisme ? Des spécialisations ? Sait-on ce que signifie « racisme institutionnel »? Qui a le droit de lancer la pierre sur l'autre ? Et pourquoi ?
La conclusion de tout cela, de ce grand cirque, s'il en fallait une, c'est, d'une part, que le racisme anti-arabe, l’islamophobie, tout comme la négrophobie, sont des racismes bénins, des racismes acceptables, certains d'entre eux peuvent même être valorisés, ils font partie du patrimoine de la France (son patrimoine génétique ?), de ses traditions multiséculaires au même titre que sa cuisine (son cochon et sa bière) !
Et d'autre part, que le racisme en France ne vient pas d'une zone particulière, d'un fragment archaïque de la société, où seraient concentrés les pires travers humains, au vrai, il traverse la société française de part en part, de l'extrême gauche à l'extrême droite, de l'élite au Lumpen, de Lille à Marseille, et toutes les dénégations de ce fait n'y pourront rien, tant il est têtu...
Et puis, à propos, la LICRA c’est quoi, une marque de sous-marin ?

A la recherche de la Burqa perdue, balade dans Vénissieux...

(Cliquez sur la photo)

Ou quand Mermet, dans son émission « Là-bas si j'y suis », que nous aimons bien par ailleurs, fait le beauf, en nous expliquant que les femmes en burqa sont belles comme les ponts emballés de Christo, car il a fait les Beaux-Arts, Mermet, qu’on se le dise… Quoi qu'il en soit, une très bonne émission (avec, entre autres, pour invités les excellents Abdelaziz Chambi et Thomas Deltombe). Une émission perspicace où Mermet prend de vrais risques en tatant de près le racisme acceptable de la bonne vieille gauche française, celle qu'on peut croiser à la Fête de l'Huma. Les propos tenus le lendemain, sur le répondeur, montrent à quel point l'Islam, ici la burqa en l'occurence, à gauche comme à droite, est l'aphrodisiaque des Français, leur élixir de beauté (et ils en ont bien besoin !), à ce stade de bêtise, il n'est même plus question d'opium...

De la décontraction

Soyez vous aussi décontractés. Totalement décontractés. Résolument décontractés. Absolument décontractés. Ne vous laissez pas terroriser par tous ces bien-pensants, par tous ces adeptes du politiquement correct. Le mode d’emploi de cette « métaphysique de la désinhibition » ? Prononcez les mots suivants à haute voix (avec ou sans protagonistes) : crouille, crouillat, crouilledoche, melon, tronc-de-figuier, arbi, bicot, bique, raton, tchouc tchouc nougat, fellaga, fellouze, nordaf, racaille, CPF (chance pour la France), gris, bougnoul(1)...

(1) BOUGNOUL, OULE, subst. masc.
Arg., péj.
A.− Nègre ou métis :
1. Il n'osait pas entrer le sauvage. Un des commis indigène l'invitait pourtant : « Viens bougnoule! Viens voir ici! Nous y a pas bouffer sauvage! » (...) Ce noir n'avait encore, semblait-il, jamais vu de boutique, ni de blancs peut-être.
Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932, p. 172.
2. ... le grand vice des nanas, c'est de se maquer avec les bougnouls...
A. Simonin, Le Petit Simonin illustré, 1957, p. 56.
B.− P. ext. [Dans le lang. des Européens] Nord-Africain indigène :
3. Si (...) la droite française manœuvrée par le fascisme algérien, ne barrait pas la route au leader M.R.P. (M. Pflimlin), il mesurerait ce qu'a d'irréductible la résolution de ces « désespérés » qui ont pris les armes pour n'être plus jamais les ratons et les bougnoules de personne. Mauriac, Le Nouveau Bloc-notes, 1961, p. 54.
Rem. Attesté dans Lar. encyclop. Suppl. 1968 et Rob. Suppl. 1970.
PRONONC. ET ORTH. : [buɳul]. Lar. encyclop. Suppl. 1968 écrit bougnoule. Rob. Suppl. 1970 admet bougnoul, bougnoule ou bounioul.
ÉTYMOL. ET HIST. − 1890 fam. et péj. « individu corvéable » (Jargon de la mar. et de l'infanterie coloniale d'apr. Esn. Poilu); 1911 train bougnoul, expression relevée à Brest pour désigner un train servant surtout aux paysans, aux « indigènes » du département (ibid.); 1932 « nègre », supra ex. 1.
Empr. à la lang. ouolof (Sénégal) bou-gnoul « noir » désignant le Noir, le négrillon, déjà terme d'injure pour désigner l'indigène frotté de français; v. Ch. Monteil dans Esn. Poilu.
STAT. − Fréq. abs. littér. : 1.
DÉR.
Bougnouliser, verbe. ,,Faire souche avec une noire`` (Esn. 1966). ,,− Papa s'est remarié à Madagascar avec une dame noire (...) il fait des enfants à grosses lèvres, en surveillant je ne sais quelle exploitation de raphia (bougnoulisé, le papa, si je comprends bien)`` (H. Bazin, La Mort du petit cheval, 1949, p. 172). Emploi pronom. Se bougnouliser. Prendre des mœurs sénégalaises (Esn. 1966). − 1re attest. 1935 (A. Simonin, J. Bazin, Voilà taxi! p. 213); dér. de bougnoul, suff. -iser*. (SOURCE)

Faut-il sauver « l'Arabe de service» ?



L’expérience vécue du Noir, depuis bien longtemps, est chose difficile. Mais j’ai bien peur que celle d’un jeune « Arabe » de France, car il faut bien leur donner un nom, en 2009, ne soit pas plus enviable. Quoi que puissent penser quelques jeunes cons (arabes) essayant de transcender, vaille que vaille, leur situation d'Indigène par l'imagination ou l'opportunisme sans scrupule. Qu’est-ce que nous raconte Fanon à ce sujet ?

« Où me situer ? Ou, si vous préférez : où me fourrer ? Où me cacher ? « Tiens, un nègre ! » C'était un stimulus extérieur qui me chiquenaudait en passant. J'esquissais un sourire. « Tiens un nègre ! » Le cercle peu à peu se resserrait. Je m'amusais ouvertement. « Maman, regarde le nègre, j'ai peur !» Peur ! Peur ! Voilà qu'on se mettait à me craindre. Je voulais m'amuser jusqu'à m'étouffer, mais cela m'était devenu impossible. Je ne pouvais plus, car je savais déjà qu'existaient des légendes, des histoires… La nausée. La honte. La honte c’est le mépris de soi-même. La nausée. Quand on m’aime, on me dit que c’est malgré ma couleur. Quand on me déteste, on ajoute que ce n’est pas à cause ma couleur. Ici ou là, je suis prisonnier du cercle infernal. Je me détourne de ces scrutateurs de l’ avant-déluge et je m’ agrippe à mes frères, nègres comme moi. Horreur, ils me rejettent. Eux sont presque blancs.…L'estropié de la guerre du pacifique dit à mon frère « Accommode toi de ta couleur comme moi de mon moignon; nous sommes tous des accidentés ». Pourtant, de tout mon être, je refuse cette amputation. Je me sens une âme aussi vaste que le monde, véritablement une âme profonde comme la plus profonde des rivières, ma poitrine a une puissance d'expansion infinie. Je suis don et l'on me conseille l'humilité de l'infirme... Hier, en ouvrant les yeux sur le monde, je vis le ciel de part en part se révulser. Je voulus me lever, mais le silence éviscéré reflua vers moi ses ailes paralysées. Irresponsable, à cheval entre le Néant et l'Infini, je me mis à pleurer…. » (Peau noire masques blancs)

Se lever ? Pleurer ? Vous n'y pensez pas... Je crois bien que la jeune recrue des classes dominantes et du Pouvoir blanc, ce prototype bancal, soit irrécupérable. Qu'est-ce qui explique cela ? Servitude volontaire ? Violence symbolique ou épistémique ? Habitus de classe ? Hégémonie culturelle ? Haine de soi ? Heautontimoroumenos ? Aliénation ? Trahison (à soi-même et aux siens) ? Béni-oui-ouisme postmoderne ? Auto-mystification ? Narcissisme des petites différences ? Micro-rouage du Pouvoir ? Intérêt privatif à très courte vue ? Gestion stratégique du stigmate ?  Naïveté ? après tout qu’importe… Il est décidément trop tard, l’Absolu ne frappera plus à sa porte, l'Esprit qui soufle ne souflera pas dans ses oreilles… Qui pourra sauver « l'Arabe de service», si ce n'est lui-même ?

Islamophobie : la Flandre une ardeur d'avance

Il règne en Belgique, à l’instar de ses voisines du nord et du sud, un climat d’islamophobie aussi rampante que galopante. Ainsi s’il y avait un débat animé lors de l’entrée en fonction de Mahinur Özdemir, la première députée voilée au sein du parlement de la Région Bruxelloise, l’interdiction du voile, en ce 11 septembre (la symbolique n'est pas anodine!), et donc l’exclusion de fait de jeunes filles voilées, dans les écoles publiques flamandes, n’indigne personne chez nos intellectuels bien en cours, pour tout dire certains s’en réjouissent. Remarquons que la bataille décisive se jouera autour des écoles francophones de Bruxelles...

« Les directions de quelque 700 établissements scolaires publics de langue néerlandaise relevant de la Communauté flamande en Belgique ont opté vendredi pour une interdiction générale du port du foulard musulman à l'école.

Cette décision du Conseil de l'enseignement de la Communauté flamande intervient alors que la volonté de deux lycées d'Anvers (nord) d'interdire à partir du 1er septembre l'accès aux élèves portant un foulard avait été accueillie par des protestations.

Suite à la plainte d'une élève contre ce nouveau règlement, l'"auditeur" (rapporteur) de la plus haute juridiction administrative belge, le Conseil d'Etat, avait estimé mardi que les établissements n'avaient pas le droit de prendre isolément ce type de décision.

Seul le Conseil de l'enseignement chapeautant les écoles de la Communauté flamande avaient le pouvoir de trancher, selon le magistrat.
Les enseignants de matières dites philosophiques seront les seuls exemptés de même que les élèves, mais uniquement durant ces cours.

Le Conseil d'Etat ne se prononcera pas avant mardi prochain sur le recours introduit par l'élève qui contestait l'interdiction du foulard par son lycée anversois.

En attendant, la décision du Conseil des établissements de la Communauté flamande clarifie la situation qui variait jusqu'à présent d'une école à l'autre en Flandre comme dans le reste du pays.

En Belgique, pays neutre face aux religions et non officiellement laïc, on laissait jusqu'à présent chaque établissement maître de sa politique sur la question des signes religieux ostensibles.
Ainsi à l'heure actuelle, un tiers des écoles de la Communauté flamande interdit le foulard, un autre tiers l'autorise, tandis que le règlement du troisième tiers ne stipule rien sur la question, selon le quotidien néerlandophone De Standaard.

Pour l'année scolaire en cours, précise le Conseil des établissements flamands, une mesure transitoire est prévue pour les établissements qui n'avaient pas annoncé d'interdiction du port de signes religieux ou philosophiques distinctifs.

L'interdiction ne concerne cependant que les écoles financées par la Communauté flamande, l'institution qui dans le cadre fédéral belge est compétente pour l'enseignement en néerlandais. D'autres écoles de Flandre dépendant des municipalités ou du secteur confessionnel -en majorité catholique- ne sont pas tenues de la suivre.

Le même débat, avec des prolongements judiciaires, agite la Communauté d'expression française, en Wallonie (sud) et à Bruxelles (centre). »

AFP

De l'intégration à la française

En une phrase, ramassée comme une formule mathématique, Brice le magnifique, qui n'en est pas à son coup d'essai, solde, brise, anéantit le rêve d’intégration des songe-creux de la République, et tout particulièrement des indigènes sociologiques, ceux qui ne savent pas qu’en l’état, au mieux, ces derniers seront presque Français « mais pas tout à fait », des Français de seconde zone, des Français au rabais, des Français mais « minoritaires » (dans tous les sens du terme), des Français nécessaires parce que minoritaires (1), car « il en faut toujours un. Quand il y en a un ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes… » Que pouvait-on attendre du ministre des « mimiles» et de la « blanchitude » ? Sinon de dire le vrai sans aucune fioriture, d'énoncer à sa manière le « trope de la tribu »... Brice Hortefeux c'est le « Ça » (2) de la République ! Aussi quand Ça parle, c'est le grand débalage...

(1) Comme l'observe Arjun Appadurai : « le nombre (comme exotisation et énumération ) a joué un rôle capital dans l'imaginaire colonial.»

(2) « Nous donnons à la plus ancienne de ces provinces ou instances psychiques le nom de Ça ; son contenu comprend tout ce que l'être apporte en naissant, tout ce qui a été constitutionnellement déterminé, donc avant toutes les pulsions émanées de l'organisation somatique et qui trouvent dans le Ça, sous des formes qui nous restent inconnues, un premier mode d'expression psychique. » (Sigmund Freud)

Le (bon vieux) temps des colonies...

« Nous trinquâmes à sa santé sur le comptoir au milieu des clients noirs qui en bavaient d’envie. Les clients c’étaient des indigènes assez délurés pour oser s’approcher de nous les Blancs, une sélection en somme. Les autres nègres, moins dessalés, préféraient demeurer à distance. L’instinct. Mais les plus dégourdis, les plus contaminés, devenaient des commis de magasin. En boutique, on les reconnaissait les commis nègres à ce qu’ils engueulaient passionnément les autres Noirs. Le collègue au « corocoro » achetait du caoutchouc de traite, brut, qu’on lui apportait de la brousse, en sacs, en boules humides.

Comme nous étions là, jamais las de l’entendre, une famille de récolteurs, timide, vient se figer sur le seuil de la porte. Le père en avant des autres, ridé, ceinturé d'un petit pagne orange, son long coupe-coupe à bout de bras.

Il n'osait pas entrer le sauvage. Un des commis indigènes l'invitait pourtant : « Viens, bougnoule ! Viens voir ici! Nous y a pas bouffer sauvage ! » Ce langage finit par les décider. Ils pénétrèrent dans la cagna cuisante au fond de laquelle tempêtait notre homme au « corocoro ».

Ce Noir n'avait encore, semblait-il, jamais vu de boutique, ni de Blanc peut-être. Une de ses femmes le suivait, yeux baissés, portant sur le sommet de la tête, en équilibre, le gros panier rempli de caoutchouc brut.

D'autorité les commis recruteurs s'en saisirent de son panier pour peser le contenu sur la balance. Le sauvage ne comprenait pas plus le truc de la balance que le reste. La femme n'osait toujours pas relever la tête. Les autres nègres de la famille les attendaient dehors, avec les yeux bien écarquillés. On les fit entrer aussi, enfants compris et tous, pour qu'ils ne perdent rien du spectacle.

C’était la première fois qu’ils venaient comme ça tous ensemble de la forêt, vers les Blancs en ville. Ils avaient dû s’y mettre depuis bien longtemps les uns et les autres pour récolter tout ce caoutchouc-là. Alors forcément le résultat les intéressait tous. C’est long à suinter le caoutchouc dans les petits godets qu’on accroche au tronc des arbres. Souvent, on n’en a pas plein un petit verre en deux mois.

Pesée faite, notre gratteur entraîna le père, éberlué, derrière son comptoir et avec un crayon lui fit son compte et puis lui enferma dans le creux de la main quelques pièces en argent. Et puis : « Va-t'en! qu'il lui a dit comme ça. C'est ton compte !... »

Tous les petits amis blancs s'en tordaient de rigolade, tellement il avait bien mené son business. Le nègre restait planté penaud devant le comptoir avec son petit caleçon orange autour du sexe.

« Toi, y a pas savoir argent? Sauvage alors? que l'interpelle pour le réveiller l'un de nos commis, débrouillard, habitué et bien dressé sans doute à ces transactions péremptoires. Toi y en a pas parler « francé » dis ? Toi y en a gorille encore hein ?... Toi y en a parler quoi hein ? Kous Kous ? Mabillia ? Toi y en a couillon ! Bushman ! Plein couillon !

Mais il restait devant nous le sauvage, la main refermée sur les pièces. Il se serait bien sauvé, s'il avait osé, mais il n'osait pas.

« Toi y en a acheté alors quoi avec ton pognon ? intervint le « gratteur » opportunément. J'en ai pas vu un aussi con que lui tout de même depuis bien longtemps, voulut-il bien remarquer. Il doit venir de loin celui-là! Qu'est-ce que tu veux ? Donne-moi le ton pognon ! »

Il lui reprit l'argent d'autorité et à la place des pièces lui chiffonna dans le creux de la main un grand mouchoir très vert qu'il avait été cueillir finement dans une cachette du comptoir.

Le père nègre hésitait à s'en aller avec ce mouchoir. Le gratteur fit alors mieux encore. Il connaissait décidément tous les trucs du commerce conquérant. Agitant devant les yeux d'un des tous petits Noirs enfants, le grand morceau vert d'étamine : « Tu le trouves pas beau, toi, dis morpion ? T'en as souvent vu comme ça, dis ma mignonne, dis ma petite charogne, dis mon petit boudin, des mouchoirs ? » Et il le lui noua autour du cou, d'autorité, question de l'habiller.

La famille sauvage contemplait à présent le petit orné de cette grande chose en cotonnade verte... Il n'y avait plus rien à faire puisque le mouchoir venait d'entrer dans la famille. Il n'y avait plus qu'à l'accepter, le prendre et s'en aller.

Tous se mirent donc à reculer lentement, franchirent la porte, et au moment où le père se retournait, en dernier, pour dire quelque chose, le commis le plus dessalé qui avait des chaussures le stimula, le père, par un grand coup de botte en plein dans les fesses.

Toute la petite tribu, regroupée, silencieuse, de l'autre côté de l'avenue Faidherbe, sous le magnolier, nous regarda finir notre apéritif. On aurait dit qu'ils essayaient de comprendre ce qui venait de leur arriver.

C’était l’homme du « corocoro » qui nous régalait. Il nous fit même marcher son phonographe.» (L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit)